Publié le 13 février 2023
Ce n’était pas écrit. Loin de là.
Lancer une revue a tout du pari audacieux. Lorsque, en 2016, quatre organisations (la Fondation Action Contre la Faim, la Fondation Croix-Rouge française, la Fondation Handicap International et la Fondation Mérieux) arrivèrent au terme d’une réflexion ayant émergé trois ans plus tôt, ce n’était que le début d’une aventure. Notre premier opus se penchait déjà sur une épidémie, celle d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Nous l’avions baptisé « Numéro inaugural », une formule à la fois prudente et confiante. L’engouement qu’il suscita nous fit faire un pas de géant : nous passâmes au numéro 2. Sept ans plus tard, le numéro 22 s’annonce.
Nous avions beau y croire, ce n’était pas écrit, non, qu’une revue internationale de réflexion et de débat sur l’action humanitaire trace ainsi son chemin. Dans le paysage éditorial, l’objet « revue » a aussi bonne presse qu’il est voué, dit-on, à rester un produit de niche.
Les auteurs et les autrices, les lecteurs et les lectrices et tous les partenaires financiers comme universitaires se sont liés pour nous aider à conjurer cette prophétie. C’est que nous les avons manifestement et rapidement convaincus de l’impérieuse nécessité de doter le secteur humanitaire d’un nouvel espace de réflexion. Il venait s’ajouter à ceux existants, initiés par des organisations non gouvernementales ou des centres de recherche. Peut-être avons-nous réussi notre pari de créer l’écrin qui permet de faire dialoguer les acteurs et les chercheurs, d’aborder l’humanitaire aussi bien à travers des articles de fond que des reportages, des entretiens, des photographies ou les dessins de Brax, de parler à la fois aux francophones comme aux anglophones, de donner à lire une revue imprimée et une revue en ligne. Sans doute avons-nous eu raison de doter cet objet d’une chaîne éditoriale professionnelle qui élève la forme au niveau du fond, une exigence majeure si l’on ne veut pas rester au niveau des pâquerettes, un sacerdoce tant le diable se cache dans les détails.
D’Ebola à la Covid-19, de la Syrie à l’Ukraine, des migrations à l’emprise grandissante des logiques entrepreneuriales, des libertés associatives en danger aux violences sexistes et sexuelles, du changement climatique au défi démographique en passant par l’impact des nouvelles technologies, nous avons placé l’aide humanitaire au cœur de nos questionnements. De Jean-Christophe Rufin à Jonathan Littell, de Reza à Plantu, de Dominique Kerouedan à Jean-François Delfraissy ou Florence Thune, de Philippe Rochot à Barbara Hendricks en passant par William Daniels, Véronique Geai, Agnès Varraine-Leca, Laure Stephan ou Rony Brauman, des plumes, des regards et des voix nous ont accompagnés pour faire grandir la revue. S’ils ont embarqué avec nous, c’est surtout le signe que tous les auteurs qui nous livrent leurs réflexions le font avec talent et engagement. Tous ensemble, ils contribuent à éclairer le travail des acteurs, à mettre en avant l’apport des chercheurs et à faire avancer la cause des populations impactées par des crises ou par le fonctionnement trop bien rodé de nos sociétés bien trop inégalitaires.
Cette préoccupation nous protège de l’écueil de l’autosatisfaction qui affleure dès lors que l’on célèbre son propre anniversaire. C’est aussi souvent l’heure d’un bilan. Le nôtre tient dans les quelque 400 articles, photographies et dessins que nous avons publiés jusqu’à présent et qui nous aident à comprendre, un peu mieux, les contraintes de l’action humanitaire et les destins de ceux aux côtés desquels elle se tient. C’est notre vocation. Elle n’a pas varié depuis sept années.
Boris Martin, rédacteur en chef
Émergence d’un précieux bien commun
À l’origine nous étions quelques praticiens humanitaires chevronnés qui rêvions de cette revue. Notre constat : depuis longtemps les acteurs anglo-saxons s’appuient sur des publications de haut niveau, sans équivalent dans la sphère francophone. Notre ambition : porter au plan international la voix singulière d’une réflexion humanitaire aux racines résolument francophones, source reconnue de ruptures et d’innovations ayant participé d’une conception renouvelée de l’action humanitaire au cours des dernières décennies.
Sept ans plus tard, force est de constater que ce défi a été relevé. L’originalité du projet Alternatives Humanitaires est de traduire une initiative portée par plusieurs institutions représentatives d’un secteur et sa diversité, où les divergences de points de vue, à la fois constitutives et constructrices, sont la règle. Cette revue est aujourd’hui considérée par tous ses partenaires comme leur bien commun.
Passerelle bilingue avec ses collègues anglophones, Alternatives Humanitaires est un espace de rencontre et de débat entre des chercheurs en sciences humaines et sociales et des praticiens de terrain, deux univers certes mutuellement intéressés mais qui s’ignorent paradoxalement trop souvent.
La principale réussite d’Alternatives Humanitaires est d’avoir réussi à donner corps à une communauté de praticiens et de chercheurs résolus à faire progresser les concepts humanitaires et à inscrire les sujets traités dans les champs du pertinent et du possible. Les impasses actuelles et les nécessaires mutations y sont analysées sans concession ; les questionnements et les réponses y sont mis en perspective.
Pour les chercheurs, publier dans Alternatives Humanitaires représente « une bouffée d’oxygène » par des prises de parole libérées des contraintes habituelles des revues académiques. Pour les praticiens de l’aide, leur participation à la revue les invite à partager leur expérience, approfondir les nombreuses implications de leur action et réfléchir à son évolution, à l’écoute attentive des acteurs locaux.
Au fil du temps, des auteurs du Sud global figurent de plus en plus régulièrement au sommaire des trois numéros annuels ; cette tendance est un enrichissement de la revue que nous voulons encore approfondir à l’avenir.
Dans toute aventure on compte des éclaireurs, et les auteurs des 21 premiers numéros sont de ceux-là. Avec chacune et chacun, nous avons élaboré une proposition à l’image de l’humanitaire : un chantier en perpétuel renouvellement, arrimé à ses fondations, mais déterminé à s’élancer vers d’incontournables horizons.
A l’occasion de cet anniversaire, nous vous invitons à nous faire part de vos avis et recommandations sur la revue, son format et son contenu : ils nous seront précieux. Et bien sûr, nous vous invitons à nous rejoindre pour soutenir et enrichir cette initiative collective, conforter son influence et contribuer à sa pérennité.
Jean-Baptiste Richardier, co-fondateur
Choisir, c’est trahir. Et cette sélection d’articles, d’entretiens ou de reportages n’échappe pas à cette règle. Elle est une invite à aller au-delà. Alors ouvrez ces quelques portes et prenez le temps de vous promener dans cette revue, de lire et d’écouter acteurs, autrices, lecteurs, chercheur·es et fondateurs qui, toutes et tous, participent à cette aventure collective. Par touches impressionnistes, les unes et les autres vous donnent à effleurer les énergies que votre revue mobilise, diffuse et relaie.
Articles
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Reportages
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Entretiens
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Dessins